top of page

Malte 2025  flânerie poétique

Des poèmes d'Arthur Rimbaud et des photos de voyage à Malte

Ma bohème

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.

— Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Malte1.jpg

Les effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,

Au grand soupirail qui s'allume,

Leurs culs en rond,

À genoux, cinq petits — misère ! —

Regardent le boulanger faire

Le lourd pain blond...

Ils voient le fort bras blanc qui tourne

La pâte grise et qui l'enfourne

Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.

Le boulanger au gras sourire

Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,

Au souffle du soupirail rouge

Chaud comme un sein.

Et quand, pendant que minuit sonne,

Façonné, pétillant et jaune,

On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées,

Chantent les croûtes parfumées,

Et les grillons,

Quand ce trou chaud souffle la vie

Ils ont leur âme si ravie

Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre !

— Qu'ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses

Au treillage, grognant des choses,

Entre les trous,

Mais bien bas, — comme une prière...

Repliés vers cette lumière

Du ciel rouvert,

— Si fort, qu'ils crèvent leur culotte,

— Et que leur lange blanc tremblote

Au vent d’hiver...

Rêvé pour l'hiver

 

L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose

Avec des coussins bleus,

Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose

Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l'œil, pour ne point voir par la glace,

Grimacer les ombres des soirs,

Ces monstruosités hargneuses, populace

De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,

Te courra par le cou...

Et tu me diras: « Cherche !» en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps à trouver cette bête

— Qui voyage beaucoup...

Première soirée

— Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,

Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise

Ses petits pieds si fins, si fins.

— Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier

Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, — mouche au rosier.

— Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s'égrenait en claires trilles,

Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »

— La première audace permise,

Le rire feignait de punir !

— Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :
— Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c'est encor mieux !...

Monsieur, j'ai deux mots à te dire... »

— Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...

— Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Les chercheuses de poux

Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,

Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
II vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes

Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

Elles assoient l'enfant devant une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,

Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée

Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.

II écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,

Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives

Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

II entend leurs cils noirs battant sous les silences

Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux

Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,

Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ;

L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,

Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

bottom of page