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Gozo 2025  flânerie poétique

Des poèmes de Rimbaud et des photos de voyage à Gozo

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

Tête de faune

Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,

Dans la feuillée incertaine et fleurie

De fleurs splendides où le baiser dort,

Vif et crevant l'exquise broderie,

Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches,

Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

Et quand il a fui — tel qu'un écureuil —

Son rire tremble encore à chaque feuille

Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.

Roman

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
— Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
— On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits, — la ville n'est pas loin,—

A des parfums de vigne et des parfums de bière...

II

— Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,

Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons ! petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête...

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête...

III

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,

— Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...

— Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.

Vous êtes amoureux. — Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.

— Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire... !

— Ce soir-là,... — vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade...

— On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade. 


La maline

Dans la salle à manger brune, que parfumait

Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel mets

Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise.

En mangeant, j'écoutais l'horloge,— heureux et coi.

La cuisine s'ouvrit avec une bouffée,
— Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,

Fichu moitié défait, malinement coiffée

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant

Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,

En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser ;
— Puis, comme ça,— bien sûr, pour avoir un baiser,—

Tout bas: « Sens donc, j'ai pris une froid sur la joue... »

Les poètes de sept ans

(...)

À sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! — Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,

— Huit ans, — la fille des ouvriers d'à côté,

La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
— Et, par elle meurtri des poings et des talons,

Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
II craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
II n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,

Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
— Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles

Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !

(...)

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